Les mystérieuses créatures de la Bible : Le grand poisson de Jonas et l’interprétation de Saint Maxime le Confesseur
Le récit de Jonas est une préfiguration de la Passion du Christ et le poisson, l’un des principaux symboles du christianisme. Lorsque le mouvement New Age nous explique que nous allons vers l’ère du Verseau, il nous prévient en fait que allons quitter l’ère du Poisson – l’ère chrétienne. Le New Age a la prétention de faire disparaître le Christ, le poisson, alors que, soyons en sûrs, il sera toujours maître de la situation lorsque « l’ère du Verseau, » le royaume de l’Antechrist verra le jour.
Il est possible que – à l’image de Jonas – nous devons faire l’expérience de l’enfermement dans le « gros poisson » avant notre rédemption pour que l’ère du Verseau – le triomphe de Lucifer - s’écroule.
Moira Forest
Le signe de Jonas
La confrontation de Notre Seigneur Jésus Christ avec les prêtres est devenue d’autant plus intense que Sa vie terrestre touchait à sa fin. Après l’avoir présenté comme un dangereux sorcier qui réalisait des exorcismes avec l’aide des démons (Luc 11:15), ils ont commencé à le tenter continuellement avec des questions faites pour donner à ses adversaires l’opportunité de l’incriminer. Tout en se moquant, ils lui ont même demandé des miracles : « Maître, nous voudrions voir un signe qui vienne de toi » (Matthieu 12:38). Cependant, connaissant la dureté de leurs cœurs, le Sauveur leur a donné qu’un seul signe : « Génération mauvaise et adultère qui réclame un signe : il ne lui sera pas donné d’autres signes que le signe du prophète Jonas. » (Matthieu 12:39)
Le moine bénédictin Saint Raban Maur (c. 780-856) a commenté sur la réponse du Sauveur, démontrant qu’à cause de leur indignité, ils n’ont pas reçu « un signe des Cieux » mais un signe « des profondeurs. » Les mots même du Sauveur l’indique : « Car, de même que Jonas demeura trois jours et trois nuits dans le ventre du cétacé, ainsi le Fils de l’homme demeurera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre. » (Matthieu 12:40). Dans le chapitre 11 de l’Évangile de Luc, nous trouvons le « signe de Jonas » mentionné encore une fois (Luc 11:29). Après avoir suivi une interprétation similaire à celle de Raban, Saint Basile le Grand (330-379) fournit des détails éclairants :
« Un signe est quelque chose qui est amené ouvertement à la vue, contenant en lui-même la manifestation de quelque chose de caché, puisque le signe de Jonas représente la descente aux enfers, l’ascension du Christ, et Sa résurrection d’entre les morts. Par conséquent il est ajouté : « Puisque Jonas était un signe pour les gens de Ninive, alors le Fils de l’homme le sera pour cette génération. » Il leur donne un signe, non pas des Cieux, car ils ne méritent pas de le voir, mais des plus profonds abimes de l’enfer ; un signe, à savoir, de Son incarnation, et non de Sa divinité ; de Sa passion, et non de Sa glorification. »
Au delà des détails et des enseignements que nous pouvons glaner à partir de la mention du « signe de Jonas, » nous comprenons que le prophète représente un personnage de l’Ancien Testament avec une signification très spéciale, symbolique et allégorique, faisant allusion à la mort, à la descente aux enfers, et à la résurrection du Sauveur, le Christ.
Qu’est-ce que le grand poisson ?
L’histoire de Jonas est l’une des plus célèbres de l’Ancien Testament. C’est sans aucun doute du à l’apparence de ce poisson qui, comme Dieu l’ordonne, a avalé Jonas. Pendant trois jours et trois nuits, le prophète était dans le ventre de la créature géante. En résultat de ses prières ferventes, Dieu allait finalement ordonner au poisson de le « vomir » sur le rivage. Dans les versets des Évangiles de Matthieu et de Luc cités dans la première partie de notre article, nous voyons que Jésus Christ fait allusion au « signe de Jonas, » associant Sa propre descente en enfer avec l’ingestion et le séjour du prophète pendant trois jours dans le ventre de l’énorme créature. Bien qu’étant véritablement fascinant, cet épisode biblique a dérouté les lecteurs de toutes les époques.
Dans le texte grec de la Septante, les mots utilisés pour se référer au monstre marin sont κήτει μεγάλ, qui peuvent être traduits par « un grand poisson. » De la même façon, dans la Vulgate de St Jérôme, les mots piscem grandem ne précisent pas l’espèce du poisson, mais met plutôt l’accent sur son énorme taille. Le nom grec kέτος (kétos) sur lequel la traduction de la Septante est basée, peut faire allusion à toutes sortes de monstre marin géant dans les textes plus anciens. De tels monstres sont souvent décrits comme des serpents des mers géants, alors qu’à d’autres moments, ils semblent être des créatures semblables aux baleines. Par conséquent, il n’a pas surprenant qu’à partir de ce terme grec, par l’intermédiaire du latin avec son mot cetus, le mot « cétacé » a surgi, signifiant la catégorie à laquelle les baleines et les dauphins appartiennent.
L’identification du grand poisson qui a avalé Jonas avec une baleine a été faite en premier dans La Chanson de Roland, un texte médiéval composé probablement au XIe siècle de l’ère chrétienne. Depuis lors, dans plusieurs traductions de la Bible, le monstre des mers qui a avalé Jonas est identifié à une baleine. Cependant, le terme plus ambigu de « grand poisson » est préférable.
Les anciennes représentations iconographiques de cet épisode biblique sont très intéressants. Dans certaines d’entre elles, il est évident que la créature est en fait identifiée comme un être serpentiforme, et plus précisément un dragon. Par ailleurs, Saint Jérôme mentionne une ancienne interprétation juive qui – en citant le verset 26 du psaume 103 où il est dit que Dieu a crée un « dragon des mers » - affirme que c’est le monstre même crée par Dieu pour avaler Jonas au bon moment.
Il est certain que sans invoquer le pouvoir surnaturel du Créateur, une interprétation purement naturaliste soulèverait de sérieux problèmes. Cela ne signifie pas que même aujourd’hui, il y a des interprètes qui essayent de prouver que c’est parfaitement possible pour un gros poisson d’avaler un humain. Sans nier la valeur de telles tentatives, je suivrai un chemin différent. C’est l’interprétation suggérée par Notre Seigneur lui-même lorsqu’il a parlé du « signe de Jonas. »
Indices pour une interprétation valable
Dieu Lui-même désire que nous lisions et méditions avec ferveur sur les textes sacrés de la Bible. La raison principale est la connexion au fait que par ces textes, la vérité divine toute entière façonne les esprits des lecteurs qui suivent les règles de l’interprétation traditionnelle guidés par le Saint Esprit. Dieu est toujours celui qui nous guide vers une compréhension correcte. Il laisse même certains indices au sein des textes eux-même qui peuvent orienter notre compréhension. Par exemple, dans le célèbre épisode du figuier desséché relaté dans l’Évangile de Marc, un détail incroyable est indiqué : Le Christ Sauveur cherche des fruits même si « ce n’était pas la saison des figues » (Marc 11:13). Quelle personne rationnelle chercherait des fruits hors saison, lorsque les arbres ne peuvent pas porter de fruits ? A première vue, l’action du Sauveur semble complètement absurde. Cependant, si l’on considère le fait que tous ces textes ont le Logos Lui-même comme auteur, qui ne laisse rien au hasard, un tel épisode va donc immédiatement suggérer qu’une interprétation est nécessaire, une interprétation qui n’a rien à voir avec l’arboriculture. Dieu a maudit le figuier desséché hors saison pour précisément attirer notre attention vers des significations symboliques et ésotériques bien plus importantes que n’importe quel cours sur les arbres.
Dans la même veine, l’ambigüité avec laquelle le texte biblique a entouré la monstrueuse créature marine qui a avalé Jonas a sa propre signification très importante. Cependant, cette signification ne peut pas être lié à un animal connu, même s’il est gigantesque, puisqu’il se réfère à quelque chose qui, bien que symbolisé par une créature de grande proportion, est d’une nature profondément différente. Nous comprenons cela avec l’extraordinaire interprétation donnée à l’histoire toute entière du prophète Jonas par l’un de ses plus brillants représentants de l’interprétation spirituelle et allégorique de la Bible : Saint Maxime le Confesseur (580-662)
Saint Maxime le Confesseur, la chute et la restauration de l’homme
A l’exception de Saint Grégoire de Nysse (335-395), de Sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179), de Saint Bonaventure (1221-1274), et de Saint Gérard Sagredo (1000-1046), il est quasiment impossible de trouver des interprètes de la Bible comparables à Saint Maxime. La profondeur de ses commentaires bibliques et leur profondeur mystique nous enchante, nous invite à un humble silence rempli d’émerveillement. Dans l’un des volumes où ses réponses à diverses questions sur la signification d’épisodes bibliques ont été rassemblées, Quaestiones ad Thalassium (Questions adressées à Thalassios), on trouve un long commentaire sur le récit complet du prophète Jonas. Les mots de Saint Maxime sont si remplis de sagesse que je vais vous laisser apprécier la lecture et la réflexion d’un extrait significatif où il dévoile la signification symbolique et allégorique du récit de Jonas :
« Le prophète Jonas, donc, représente Adam, c’est à dire la nature commune des êtres humains, et en lui-même il représente notre nature d’une manière mystique, qui passe des bonnes choses de Dieu, comme à Jaffa, et descend, comme dans la mer, dans le malheur de cette vie présente. Notre nature, dis-je, qui a été submergée dans l’océan chaotique et rugissant des attachements matériels ; qui a été avalé par la baleine, cette bête intelligente et insatiable, le diable ; et qui a été inondée par l’eau de tous côtés, affrontant, jusqu’à son âme même, les flots des tentations vers le mal, pour que la vie humaine soit submergée dans les tentations ; et qui a été recouverte par l’abysse final, c’est à dire emprisonnée par la complète ignorance de l’intellect, et submergée par le grand fardeau du mal faisant pression sur son pouvoir de raison. Notre nature, dont la tête a été enfoncée dans le creux des montagnes, autrement dit le principe primordial concernant la foi, qui est la tête, pour ainsi dire, du corpus entier des vertus, était confinée, comme dans les creux de sombres montagnes, par les desseins des puissances du mal, et divisée en multiples opinions et de fausses images, car les Écritures ont appelé « creux des montagnes, » les desseins trompeurs des esprits du mal qui mentent quelque part dans les profondeurs de l’abysse final de l’ignorance. » (1)
L’histoire toute entière de l’humanité qui a suivi le péché originel commis par Adam et Ève au Paradis est décrit dans des termes qui expliquent, en se basant sur la Révélation divine, le véritable état de la nature déchue des hommes. Ce qui nous intéresse ici, c’est le fait que le poisson géant kέτος (kétos), est interprété symboliquement par Saint Maxime comme étant la représentation du démon, qui a « avalé » la nature humaine déchue par le pouvoir de la mort. Cette interprétation est confirmée par la tradition chrétienne toute entière.
Commençant par la saint sacrement du baptême (2) dans lequel l’exorcisme tient une place très importante (l’eau et le sel ensemble étant exorcisés), tout confirme la réalité d’une véritable « submersion » du monde et de l’humanité dans le mal, comme la Vulgate de Saint Jérôme le suggère où nous lisons, dans le premier épitre de Saint Jean, que « Le monde entier se trouve sous la coupe du Malin. » (1 Jean 5:19). Le texte original en grec semble un peu différent : « le monde entier se situe dans l’être malveillant. » Au delà de la question de la précision des traductions du texte grec, il est certain qu’il évoque la doctrine des conséquences du péché originel. L’une de ces conséquences, c’est l’état d’asservissement de l’humanité au démon, (3) qui a crée un véritable « empire de la mort. » (Hébreux 2:14) Saint Maxime voit dans l’histoire toute entière de Jonas une récapitulation qui dévoile des vérités essentielles sur l’état de déchéance de l’humanité, dont celui d’asservissement du péché et de la mort.
La libération est venue par la mort sur la croix du Christ Sauveur, un évènement suivit par Sa descente dans le royaume de la mort éternelle, c’est à dire l’enfer. Il est extraordinaire que dans certaines images anciennes du Moyen-Âge ou de la Renaissance, l’inhumation du Sauveur après Sa descente de la croix est peinte dans le même cadre où, sur le côté, l’ingestion de Jonas par le monstre gigantesque est dépeinte.
L’analogie visuelle correspond parfaitement à l’interprétation de Saint Maxime. Car c’est la signification véritable et profonde de l’histoire du prophète, qui nous est indiquée par Jésus-Christ Lui-même dans les Évangiles où Il parle du « signe de Jonas. » Ainsi, ce n’est pas seulement l’histoire de la chute d’un homme mais aussi l’histoire de sa restauration par l’incarnation, la mort et la résurrection du Christ Sauveur. Un enseignement qui est la fondation de la vertu d’espoir, dans l’esprit duquel – invoqué par les paroles de Saint Maxime le Confesseur – nous concluons cet article :
« Car Notre Seigneur et Dieu Lui-même s’est fait homme et est rentré dans l’océan de notre vie, comme s’il descendait dans la mer de cette vie à partir du paradis de Jaffa, qui traduit signifie « contemplation de joie, » comme disent les Écritures : « Il est celui qui, pour la joie qu’il a établi avant Lui, a enduré la croix, au mépris de la honte. » Il est même descendu volontairement dans « cœur de la terre, » où le Malin nous avait avalé par la mort et nous gardait prisonniers ; et lorsqu’Il nous en a arraché par la résurrection, Il a emmené notre nature captive en entier au paradis. Et Il est réellement notre repos, et notre guérison, et notre grâce. Le repos, car par Sa vie brève, il a aboli la loi de notre sinistre asservissement à la chair. La guérison, car par Sa résurrection, Il nous a guéri de la blessure de la mort et de la corruption. La grâce, car par la foi, Il a dispensé l’adoption dans l’Esprit de Dieu le père, et la grâce de la divinisation à tous ceux qui en sont dignes. » (4)
(1) Saint Maxime le Confesseur Questions à Thalassios
(2) Lorsque je parle des saints sacrements, je me réfère toujours à leur forme traditionnelle définies, par exemple, dans le Catéchisme Romain (1566) basé sur les enseignements du Concile de Trente (1545-1563)
(3) Concernant ce thème difficile, nous pouvons lire la monographie signée du théologien allemand Ludwig Ott : Fondamentaux du dogme catholique.
(4) Saint Maxime le Confesseur Questions à Thalassios
Source : The Remnant